Les
certificats d’économies d’énergie (CEE) constituent l'un des principaux outils de la politique énergétique en France, permettant d’inciter les particuliers à réaliser des économies d’énergie.
Toutefois, un rapport récent de
Colombus Consulting publié le mardi 24 septembre et corroboré par les conclusions de la
Cour des comptes, pointe du doigt de nombreux dysfonctionnements dans l’application de ce dispositif.
Ces rapports dressent un constat inquiétant quant à la faisabilité des objectifs ambitieux fixés par le gouvernement, notamment en matière de volume d’économies d’énergie à atteindre dans les prochaines années.
Un dispositif au cœur de la transition énergétique
Introduits en 2006, les certificats d’économies d’énergie visent à encourager les fournisseurs d’énergie (électricité, gaz, carburant, etc.), appelés
"acteurs obligés", à financer des projets d’efficacité énergétique. En contrepartie, ils reçoivent des CEE, qui sont une preuve des économies d'énergie réalisées.
Ces travaux sont souvent réalisés chez les ménages et les entreprises, par exemple pour
isoler des maisons, installer des
systèmes de chauffage plus performants ou remplacer des équipements énergivores.
👉
Comprendre les CEE au service des économies d’énergie.
Le dispositif des CEE a permis des avancées notables en matière d’efficacité énergétique. Selon les données disponibles, plusieurs
millions de tonnes d'équivalent CO2 ont été économisées grâce à ce mécanisme, et des milliers de foyers ont pu bénéficier d’aides pour financer des travaux de rénovation énergétique.
Cependant, malgré ces succès initiaux, le système des CEE fait face à des difficultés croissantes. Le gouvernement a récemment fixé des objectifs très ambitieux pour accélérer la transition énergétique, avec une hausse substantielle du volume de CEE à générer d’ici 2030. Or, ces objectifs sont désormais jugés
irréalistes par plusieurs acteurs.
Des objectifs hors d’atteinte
Selon l’étude de Colombus Consulting, les objectifs fixés par l'État sont "hors d'atteinte" compte tenu des moyens actuellement disponibles.
Les experts estiment qu'il serait nécessaire de
doubler le volume de CEE délivré d’ici cinq ans pour espérer atteindre les cibles fixées, une perspective jugée hautement improbable.
Les objectifs fixés par l’Etat sont :
2018-2021 : 1 600 TWh cumac à atteindre.
2022-2025 : 2 500 TWh cumac.
2026-2030 : 1 250 à 2 500 TWh cumac par an (cibles projetées).
💡 Les objectifs en TWh cumac représentent l'énergie économisée grâce à des travaux d'efficacité énergétique, comme l'isolation ou le remplacement d'appareils. Un TWh cumac équivaut à 1 milliard de kWh économisés sur la durée de vie des actions. L'État demande aux fournisseurs d'énergie de réaliser des économies équivalentes à 2 500 milliards de kWh sur quatre ans, soit la consommation annuelle de 100 millions de foyers.
Le scénario le plus ambitieux proposé par les pouvoirs publics impliquerait de dépasser de
51% le gisement technique d'économies d'énergie disponible en France, rendant ces cibles totalement irréalistes.
💡Le gisement technique représente toutes les économies d'énergie techniquement possibles, c'est-à-dire ce que l’on peut réaliser avec les technologies actuelles.
Pour illustrer cette impossibilité, l’étude compare la trajectoire actuelle des CEE avec celle que le gouvernement envisage.
Actuellement, le volume de CEE délivré annuellement oscille entre 700 et 1 250 TWh. À partir de 2026, les objectifs gouvernementaux prévoient de faire grimper ce chiffre entre 1 250 et 2 500 TWh, une augmentation drastique jugée inatteignable.
Des impacts financiers majeurs
La réalisation de tels objectifs aurait également des
répercussions significatives sur la facture énergétique des ménages. Selon le scénario le plus ambitieux envisagé par le gouvernement, les ménages pourraient voir leur facture énergétique augmenter de manière importante, jusqu'à 912 euros par an en moyenne. Cette hausse serait due au fait que les fournisseurs d’énergie répercutent les coûts liés à la génération de CEE sur le consommateur final.
Cette charge financière supplémentaire s'ajoute aux difficultés déjà rencontrées par de nombreuses familles face à la crise énergétique actuelle, marquée par
des prix en constante hausse.
Dans ce contexte, il devient nécessaire de réfléchir à une révision en profondeur des objectifs de la politique des CEE afin de limiter l’impact sur les ménages les plus modestes.
Un manque d’adaptation aux réalités
Un autre aspect est le
décalage entre les objectifs fixés et les réalités du terrain. Selon le rapport, les autorités auraient fixé ces objectifs en fonction des besoins d'économies d'énergie sans prendre en compte les études existantes sur les gisements disponibles.
En conséquence, même lorsque des gisements sont identifiés, il n’y a aucune garantie que des travaux seront réalisés. Ce constat est notamment valable dans le secteur résidentiel, où les relations entre propriétaires et locataires freinent souvent les projets de rénovation.
Ces obstacles réglementaires et relationnels s’ajoutent aux
freins des ménages. Nombre d’entre eux hésitent à entreprendre des travaux de rénovation énergétique, en raison d’un manque d’information ou de motivation, ou encore des difficultés à financer ces projets malgré les aides disponibles.
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Des mesures complémentaires indispensables
En parallèle, l’étude appelle à la mise en place de
mesures complémentaires pour encourager les économies d’énergie.
Cela pourrait inclure des dispositifs incitatifs supplémentaires, mais aussi un meilleur suivi des économies effectivement réalisées.
La Cour des comptes a également suggéré d’améliorer les mécanismes de contrôle et de suivi des économies d’énergie, afin de s'assurer que les CEE délivrés reflètent bien les efforts réalisés sur le terrain. Sans ces ajustements, il est peu probable que la France parvienne à respecter ses engagements en matière de transition énergétique.
Conclusion : Une approche plus pragmatique
Le rapport de Colombus Consulting envoie un
signal aux pouvoirs publics et souligne l’importance de
réévaluer les ambitions énergétiques du pays et de les aligner avec les réalités du terrain.
Les objectifs trop ambitieux et déconnectés de la réalité risquent non seulement d’échouer, mais aussi de créer des tensions économiques importantes, notamment pour les ménages.
Adopter une approche plus pragmatique, s’appuyant sur une analyse réaliste des gisements d’économies d’énergie, et mettre en place des mécanismes adaptés pour lever les freins techniques et comportementaux sont des conditions indispensables pour réussir la transition énergétique de la France.